Documents  Feraoun, Mouloud | enregistrements trouvés : 7

"Durant les dernières années qu'il vécut en Kabylie, Mouloud Feraoun entretint avec ses amis une correspondance nombreuse. Plus tard, en 1957, installé près d'Alger, trop d'obligations et de soucis l'accablèrent. De l'ensemble des lettres qu'on a pu réunir ici se dégage l'admirable figure d'un homme fraternel et bon, à la fois épris de justice et ennemi de la violence et qu'un jour de mars 1962 la violence a tué.
L'humour, l'émotion, l'ironie ne manquent pas dans ces pages qui nous restituent un Mouloud Feraoun vivant, avec son scepticisme amusé, son indulgence pour les êtres, son inépuisable générosité.
Mais ces lettres nous apportent davantage qu'un émouvant autoportrait car Mouloud Feraoun nous livre également de fines notations sur l'âme berbère, des confidences sur sa propre création littéraire et un témoignage spontané sur cette guerre d'Algérie qui, à la veille même de finir, allait le foudroyer."

« N'ai-je pas écrit tout ceci au jour le jour, selon mon état d'âme, mon humeur, selon les circonstances, l'atmosphère créée par l'événement et le retentissement qu'il a pu avoir dans mon coeur? Et pourquoi ai-je ainsi écrit au fur et à mesure si ce n'est pour témoigner, pour clamer à la face du monde la souffrance et le malheur qui ont rôdé autour de moi ? Certes, j'ai été bien maladroit, bien téméraire, le jour où j'ai décidé d'écrire, mais autour de moi qui eût voulu le faire à ma place et aurais-je pu rester aveugle et sourd pour me taire et ne pas risquer d'étouffer à force de rentrer mon désespoir et ma colère ? Et maintenant que c'est fait, que tout est là, consigné, bon ou mauvais, vrai ou faux, juste ou injuste, maintenant que nous entrevoyons la fin du cauchemar, faudra-t-il garder tout ceci pour moi?
Après ce qui s'est écrit sur la guerre d'Algérie, bon ou mauvais, vrai ou faux, juste ou injuste, il convient qu'à cela s'ajoute mon journal, comme une pièce supplémentaire à un dossier déjà si lourd.
Je sais combien il est difficile d'être juste, je sais que la grandeur d'âme consiste à accepter l'injustice pour éviter soi-même d'être injuste, je connais enfin les vertus héroïques du silence. Bonnes gens, j'aurais pu mourir, depuis bientôt dix ans, dix fois j'ai pu détourner la menace, me mettre à l'abri pour continuer de regarder ceux qui meurent. Ceux qui ont souffert, ceux qui sont morts pourraient dire des choses et des choses. J'ai voulu timidement en dire un peu à leur place. Et ce que j'en dis, c'est de tout coeur, avec ce que je peux avoir de discernement et de conscience.