Documents  Jacques-Marie Laffont éditeur | enregistrements trouvés : 3

""L'Arabe a poussé le paquet en papier journal devant lui sur le comptoir puis a porté ses doigts joints à ses lèvres, en signe de bénédiction. Mimi n'a même pas ouvert le paquet, il lui a suffi de regarder l'Arabe dans les yeux pour y voir toute une vie de travail dans les fermes de la Mitidja, chez les colons faiseurs de vin ou d'orangers à moins que ce ne soit des journées assis ou debout dans le hall de la gare, à cirer les souliers, les souliers noirs des pieds-noirs. Même que c'était à cause de ces chaussures de cuir fermé et sombre que les indigènes en sandales de la conquête les avaient surnommés les "pieds-noirs". Alors Mimi a accepté. Le paquet a traversé le comptoir, est passé dessous, ni vu ni connu et Mimi a donné les clefs du salon en échange. Il lui a dit "tu es chez toi" en désignant d'un geste de la main les fauteuils, les tables, les peignes, les lave-tête et les miroirs d'où les visages amis avaient disparu..."" (4ème couv.)

"Eugène Fromentin fut peintre et écrivain ; aujourd'hui, on connaît surtout l'écrivain à cause de son roman, Dominique, qui figure dans toutes les collections de poche. Quant au peintre, bien qu'il soit accroché dans beaucoup de musées, il attend toujours l'exposition nationale, qui le mettrait à sa place — et qu'il faut souhaiter.
Le double talent de Fromentin s'unit dans ses deux récits de voyage, qui furent très appréciés de son vivant, mais qu'on n'a plus réédités depuis longtemps. Voici, pour commencer, Un été dans le Sahara, qui relate un séjour effectué en 1853, à l'époque des débuts de la colonisation française.
Finalement, rien n'est plus difficile à isoler que les ingrédients de la qualité d'un livre. Fromentin, à la différence de la plupart des voyageurs, ne dit pas seulement le trajet et les rencontres : il les enveloppe de leur volume d'instant et d'émotion, de leurs couleurs, du tremblé de leur apparition. Chez lui, la découverte s'inscrit dans le mouvement de la phrase, qui se confond avec celui du regard. Et les mots conduisent cet allant avec une telle justesse qu'on en éprouve parfois un saisissement, comme si la vue se présentait vraiment. C'est que la justesse ajoute un supplément de sensation et fait surgir une beauté dont l'arabesque harmonise lecture et vécu en les dédoublant dans un même mirage.
B. N."